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Le printemps, la sève et les craques


Je passe ma main sur la surface rugueuse. Une fissure, franche et profonde, court le long du grain. Pourquoi cette ouverture ? J'observe, j'écoute, et je devine sa logique. Il a cédé sous la pression, sous la montée de la sève printanière qui l’a rempli au-delà de sa capacité. C’était inévitable.

Et maintenant, que faire ? Effacer ces marques, chercher la perfection? Ou plutôt les accepter, les comprendre, les intégrer ? Peut-être même les sublimer, les transformer en un élément central du design. Ce bois me raconte son histoire, chaque craque est une phrase dans son langage silencieux. En les préservant, je ne fais pas que respecter la matière, je dialogue avec elle, j'accompagne son parcours au lieu de le nier. Mon instinct me parle et je choisis de faire partie intégrante de son histoire, maintenant partagée.

Le printemps marque le réveil de la nature, et avec lui, la montée des eaux dans les arbres. À cette période, la sève circule avec une pression plus forte que durant le reste de l'année. Si un arbre est abattu au printemps, il sera gorgé d'eau, ce qui influencera considérablement son comportement lors du séchage.

Un bois récolté à ce moment-là peut développer des craques importantes, issues du retrait inégal de l’humidité contenue dans ses fibres. Ces fentes sont souvent perçues comme un défaut, une faiblesse à éviter à tout prix. Traditionnellement, un bois fendu était écarté, jugé trop instable pour être utilisé en ébénisterie. Pourtant, ces craques ne sont pas un hasard : elles apparaissent dans des conditions spécifiques, souvent opposées à celles d’un bois resté intact.

Alors, faut-il les garder ou les éliminer ? La réponse dépend de la philosophie avec laquelle on aborde le matériau. Plutôt que de voir ces craques comme des imperfections, on peut choisir de les intégrer, de les apprivoiser. Le bois nous parle à travers ses fentes, il nous raconte son histoire, son passage d’un état à un autre. Ignorer ces marques, c’est refuser une partie de son vécu.

Travailler avec ces ouvertures demande une certaine habileté et une bonne connaissance du matériau. Il s’agit de savoir comment stabiliser ces craques, comment les intégrer dans le design d’un meuble pour qu’elles deviennent un atout plutôt qu’une faiblesse. On peut les renforcer avec des papillons en bois, jouer avec les contrastes, ou encore laisser la nature dicter la forme finale de la pièce.

Accepter ces imperfections, c’est aussi embrasser une vision plus large, celle qui s’applique à l’humain. Comme le bois, nous portons nos propres marques, nos propres craques. Elles ne sont pas des failles à masquer, mais des preuves de notre histoire et de notre résilience. Il suffit de savoir comment les accueillir et les transformer en quelque chose de beau et de fort.

Le bois nous offre une leçon précieuse : c’est dans l’acceptation de ses irrégularités que l’on trouve son véritable caractère.

Je passe une dernière fois la main sur la surface du bois. Les craques sont toujours là, mais elles ont trouvé leur place. Je murmures :

— Alors, tu es prêt ?

— *Crac*

Le bois réagi, je ressens sa présence. Il est stable, fort, porteur de son propre récit. On ne cherche plus à se cacher, on souhaite exprimer ce que nous sommes devenu.

— Moi aussi.

En intégrant ses marques, je lui donne une vie. Et dans cette transformation, nous avançons ensemble.